Carl Rogers par lui-même…

Cabinet de psychothérapie : Bédarieux, Béziers et en ligne.

Carl Rogers par lui-même…

Le journal des psychologues – mai 96 – n° 137

Rogers avait horreur d’être défini et « labellisé ». Il décevait ceux qui s’en étaient fait d’avance une image figée : « vous savez, il n’est pas rogérien du tout ». Aussi avons-nous choisi, par fidélité à sa pensée, de le laisser se présenter lui-même à travers quelques extraits de ses ouvrages et une interview.

« Être soi » : but de la vie
Je crois que la meilleure façon d’exposer ce but de la vie est d’employer les mots de Kierkegaard : « être vraiment soi-même ». Je me rends parfaitement compte que cela peut paraître simple jusqu’à l’absurde. (1)
Le but de l’évolution personnelle est d’être de plus en plus soi-même, dans n’importe quelle situation, au lieu de revêtir un rôle. En d’autres termes, le meilleur enseignant n’est pas celui qui joue le rôle d’un enseignant, mais celui qui est une personne authentique au sein de sa classe. Le meilleur parent n’est pas celui qui joue le rôle du parent, mais celui qui est une personne authentique au sein de sa famille ; c’est en évoluant en tant que personne que l’on laisse tomber les rôles pour n’être plus que soi-même dans toutes les circonstances de la vie. (2)

« Être soi » : un mouvement, une direction
En bref, le schéma de mouvement observé chez mes clients, semble vouloir dire que l’individu se dispose à être, en toute connaissance de cause, le processus qu’il est véritablement en profondeur. Il renonce à être ce qu’il n’est pas, à être une façade. Il n’essaie pas d’être plus qu’il n’est avec toute l’insécurité et les mécanismes que cela implique. Il est de plus en plus attentif à ce qui se passe dans les profondeurs de son être physiologique et émotif, et se trouve de plus en plus enclin à être, avec toujours plus de précision et de profondeur, ce qu’il est le plus véritablement. (1)

« Être soi » risque et bénéfice
Le sentiment de profonde solitude individuelle qui est le lot de tant de vies humaines ne peut être diminué que si l’individu prend le risque d’être davantage lui-même face aux autres. Ce n’est qu’alors qu’il saura s’il est capable d’établir un contact humain et d’alléger le fardeau de sa solitude.
Je peux parler très personnellement de ce sujet, car prendre des risques est l’une des nombreuses choses que m’a apprises mon expérience personnelle dans les groupes de rencontre. Si je ne me montre peut-être pas toujours fidèle à ce principe, j’ai pourtant constaté qu’il n’y avait là fondamentalement rien dont on puisse avoir peur. Lorsque je me présente tel que je suis, lorsque je puis aller de l’avant sans défenses, sans armure, simplement moi, – lorsque je puis accepter d’avoir de multiples défauts et lacunes, de commettre de nombreuses erreurs et d’être souvent ignorant là où je devrais être bien informé, d’avoir souvent des préjugés là où je devrais avoir l’esprit largement ouvert, d’éprouver fréquemment des sentiments qui ne sont pas justifiés par les circonstances, – alors, je puis être beaucoup plus réel, plus authentique.
Accepter le risque d’être soi-même est sans nul doute l’une des étapes qui mènent à l’allègement de la solitude qui est en nous et à l’authenticité des rapports avec autrui.
La conviction la plus profondément ancrée dans la personne qui se sent seule, c’est que, une fois connue, elle ne sera ni acceptée ni aimée. Et c’est un aspect fascinant de l’évolution d’un groupe que de voir cette conviction disparaître. Découvrir qu’un groupe entier de personnes trouve beaucoup plus facile d’aimer le moi réel que la façade extérieure est toujours une expérience émouvante, non seulement pour la personne concernée, mais également pour les autres participants. (3)

« Être soi » n’est jamais acquis.
Ces dernières années, j’ai eu à résoudre un problème particulier, celui que rencontrent tous ceux qui sont devenus relativement connus par leurs écrits et par ce qu’on enseigne à leur sujet dans les écoles. Les gens viennent participer aux groupes que j’anime avec toutes sortes d’attentes – depuis l’attente d’une auréole au-dessus de ma tête jusqu’à celle de me voir pousser des cornes. J’essaie de me dissocier aussi rapidement que possible de ces espoirs ou de ces craintes. Par mes vêtements, par mon attitude et en exprimant le désir qu’ils me connaissent comme une personne – et pas simplement comme un nom, un livre ou une théorie – j’essaie de devenir une personne pour les membres du groupe. Cela me fait toujours du bien de me retrouver dans une réunion – par exemple, de jeunes filles d’école secondaire ou quelquefois d’hommes d’affaires – où je ne suis pas un « nom » et où je dois de nouveau « réussir » simplement à partir de la personne que je suis. J’aurais volontiers embrassé la jeune fille qui m’a contesté au début d’un groupe : « Ce qu’on nous propose de faire me paraît risqué, disait-elle. En quoi êtes-vous qualifié pour cela ?  » J’ai répondu que j’avais une certaine expérience dans le travail de groupe et que j’espérais qu’ils me trouveraient qualifié ; je pouvais très bien comprendre son souci, mais ils auraient à former eux-mêmes leur jugement à mon égard. (3)

Créer
J’affirme que la société a désespérément besoin de voir les individus créateurs se conduire de façon créative.
J’ai fini par en conclure que ce qu’il y a d’unique et de plus personnel en chacun de nous est probablement le sentiment même qui, s’il était partagé ou exprimé, parlerait le plus profondément aux autres. Cela m’a permis de percevoir les artistes et les poètes comme des êtres qui osent exprimer ce qu’il y a d’unique en eux. (1)

Enseigner
J’en suis arrivé à croire que les seules connaissances qui puissent influencer le comportement d’un individu sont celles qu’il découvre lui même et qu’il s’approprie. La conséquence de ce qui précède, c’est que mon métier d’enseignant n’a plus pour moi aucun intérêt. (1)

Créativité, psychothérapie, développement de la personne : une même dynamique
La cause première de la créativité semble être cette même tendance que nous découvrons comme force curative en psychothérapie – la tendance de l’homme à s’actualiser, et à devenir ce qui est potentiel en lui. Je veux parler de la tendance propre à toute vie humaine de s’étendre, de grandir, de se développer, de mûrir ; je veux parler du besoin de s’exprimer et d’actualiser ses capacités propres. Cette tendance peut être profondément enfouie dans la personne ; elle peut se cacher derrière des façades compliquées qui nient son existence ; je crois pourtant, d’après mon expérience, qu’elle existe en chaque individu et n’attend que l’occasion de se manifester. C’est cette tendance qui est la cause première de la créativité quand – dans son effort pour être plus pleinement lui-même – l’organisme entre dans de nouveaux rapports avec son entourage. (1)

La « Technique non directive » ?
« Je suis vraiment consterné de voir que l’on se réfère à mon travail comme à une technique. Ce n’est pas une technique mais une conception philosophique de la vie, une manière d’être. C’est beaucoup plus qu’une technique. D’ailleurs, cela ressort de tous mes écrits depuis 1950 et c’est dommage que l’on parle encore en termes de technique et de « non-directivité » à mon sujet. (2)

Et comme le signe d’adieu du voyageur…
J’avais traversé la vie doucement en faisant relativement peu de bruit jusqu’à ce que j’aie atteint mon but et il était désormais trop tard pour m’arrêter. J’ai vraiment un côté obstiné. (4)


1 – Extrait de « Le développement de la personne » (On becoming a person, 1951), Bordas,1966, Dunod 1995
2 – Extrait de l’interview de Carl Rogers par Armand Touati (1984), Journal des Psychologues n° 23
3 – Extrait de « Les groupes de rencontre » (On encounter groups, 1970), Bordas 1973, Dunod 1985
4 – Extrait de « Un manifeste personnaliste » (On personal power, 1977) Dunod 1979

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *